
L’œuvre de Vauban à Besançon n’est pas une simple citadelle, mais un système de contrôle territorial total, un véritable échiquier défensif lisible à l’échelle de la ville.
- La défense repose sur une hiérarchie de forts et un verrouillage topographique des collines et du méandre du Doubs.
- Le principe du bastion, appliqué aux remparts et aux tours, assure une couverture de feu sans angle mort.
Recommandation : Pour le comprendre, il faut abandonner la visite touristique classique et adopter une lecture stratégique du paysage urbain et naturel.
Pour le visiteur non averti, Besançon se résume souvent à sa majestueuse Citadelle dominant la boucle du Doubs. On admire le panorama, on visite les musées, on salue le génie de Vauban. C’est une erreur d’appréciation fondamentale. Se concentrer sur la Citadelle, c’est comme regarder un roi sur un échiquier en ignorant toutes les autres pièces. La véritable prouesse de Vauban n’est pas ce chef-d’œuvre isolé, mais la conception d’un système défensif total, une machine de guerre intégrée à la topographie même de la ville.
L’héritage militaire de Besançon ne se contemple pas, il se décode. Chaque rempart, chaque tour le long du fleuve, chaque fort sur une colline est un rouage. La platitude consiste à voir des vieilles pierres là où se trouve une doctrine militaire figée dans le paysage. L’intention de ce guide est de vous fournir les clés de lecture d’un officier du génie. Nous n’allons pas visiter un monument, nous allons analyser un dispositif tactique. Oubliez la carte postale ; nous allons décrypter la carte d’état-major.
En réalité, la clé pour comprendre Vauban à Besançon n’est pas de lever les yeux vers la Citadelle, mais d’analyser le terrain comme il l’a fait. Pourquoi ce fort ici ? Pourquoi cette forme pour ce rempart ? Comment le fleuve devient-il une arme ? C’est en répondant à ces questions que l’on passe de simple touriste à analyste stratégique. Cet article vous guidera pour lire la ville comme un champ de bataille, en comprenant la logique implacable derrière chaque construction et chaque aménagement, de la Citadelle aux sentiers de randonnée qui parcourent aujourd’hui d’anciennes lignes de défense.
Cet article est structuré pour vous faire passer d’une vision globale du système défensif à l’analyse de ses composantes spécifiques, jusqu’aux moyens modernes de l’appréhender. Le sommaire ci-dessous vous permettra de naviguer entre ces différents niveaux de lecture stratégique.
Sommaire : Comprendre le système fortifié de Besançon
- Pourquoi Vauban n’a-t-il pas construit que la Citadelle mais tout un système ?
- Comment l’eau du Doubs était-elle intégrée aux défenses de la ville ?
- Vauban vs Séré de Rivières : quelles différences visibles sur le terrain ?
- L’erreur de s’aventurer sur des remparts non sécurisés pour une photo
- Quand utiliser la réalité augmentée pour visualiser les sièges historiques ?
- Comment le système de bastions protège-t-il réellement la ville en 1600 ?
- Pourquoi les forts sont-ils toujours situés sur les points culminants les plus venteux ?
- Quel itinéraire de randonnée choisir pour découvrir les forts militaires abandonnés ?
Pourquoi Vauban n’a-t-il pas construit que la Citadelle mais tout un système ?
L’erreur fondamentale est de considérer la Citadelle comme une fin en soi. Pour un stratège comme Vauban, une forteresse, aussi imprenable soit-elle, n’est qu’une pièce maîtresse. Sa valeur réside dans sa capacité à commander et à interagir avec un ensemble de défenses périphériques. À Besançon, Vauban n’a pas bâti une forteresse ; il a verrouillé une position topographique. Il a hérité d’une ville nichée dans un méandre, dominée par des collines. Sa réponse fut un système hiérarchisé où chaque élément a un rôle précis.
La Citadelle, sur son éperon, agit comme le poste de commandement et l’ultime réduit. Mais elle est vulnérable aux tirs venant des collines de Chaudanne et Bregille. C’est pourquoi elle ne fonctionne pas seule. En face, sur l’autre rive, le Fort Griffon agit comme une seconde citadelle, contrôlant le quartier de Battant et prenant à revers tout assaillant qui s’attaquerait à la boucle. Les remparts médiévaux sont transformés, rationalisés avec des bastions et demi-lunes, créant une ceinture de feu continue. Le système est total : il intègre la ville, la rivière et les hauteurs environnantes dans un seul et même concept défensif.
Plan d’action du stratège : Les éléments clés du système Vauban à identifier
- La hiérarchie des forts : Observer la Citadelle sur son éperon rocheux et repérer le Fort Griffon en face, comme une seconde citadelle verrouillant l’autre rive.
- Les défenses fluviales : Identifier les six tours bastionnées le long du Doubs, conçues pour interdire toute approche par la rivière.
- Les glacis transformés : Visualiser les anciens glacis, ces terrains dégagés devant les remparts, aujourd’hui devenus des espaces verts comme le Parc Micaud.
- L’empreinte urbaine : Suivre le tracé des anciens remparts et bastions dans le dessin actuel des rues et des quais de la boucle.
- La position dominante : Comprendre que la Citadelle domine la ville de plus de 100 mètres non pas pour la vue, mais pour le commandement et la portée de l’artillerie.
Comment l’eau du Doubs était-elle intégrée aux défenses de la ville ?
Pour un ingénieur militaire, un fleuve n’est pas un obstacle, c’est une arme. À Besançon, le Doubs forme un fossé naturel presque parfait autour du centre historique. Vauban n’a fait que renforcer et militariser cette caractéristique topographique. Plutôt que de simplement construire un mur le long de l’eau, il a transformé la rive en une ligne de feu active. L’eau n’est plus seulement une barrière passive ; elle devient un couloir mortel pour quiconque tenterait de s’approcher.
La pièce maîtresse de ce dispositif fluvial est une invention de Vauban, appliquée ici pour la première fois : la tour bastionnée. Ce ne sont pas de simples tours de guet. Ce sont de véritables petits forts d’artillerie autonomes, ancrés dans le lit même de la rivière. Leur conception angulaire permet des tirs croisés qui balaient toute la surface de l’eau, ne laissant aucun angle mort. Le système défensif conçu par Vauban intégrait 6 tours bastionnées construites et ancrées dans la rivière, formant une chaîne infranchissable. Le quai Vauban lui-même, aujourd’hui lieu de promenade, a été conçu avec une double fonction : une façade urbaine prestigieuse et un rempart capable de supporter l’infanterie et l’artillerie légère.
Vauban vs Séré de Rivières : quelles différences visibles sur le terrain ?
Observer les fortifications de Besançon offre une leçon d’histoire de l’ingénierie militaire sur deux siècles. Après l’ère de Vauban et la prédominance du canon à âme lisse, une révolution technologique va tout changer : l’arrivée de l’obus explosif et du canon rayé à la fin du XIXe siècle. La fortification bastionnée, avec ses murs de maçonnerie hauts et exposés, devient obsolète et vulnérable. Une nouvelle doctrine voit le jour, incarnée en France par le général Séré de Rivières.
La différence est visible, même pour un œil non expert. Le système Vauban est architectural, presque esthétique dans ses formes géométriques. Les forts de Séré de Rivières, construits autour de Besançon à partir de 1874, sont radicalement différents. Ils sont semi-enterrés, dissimulés dans le paysage pour se protéger des tirs d’artillerie. La maçonnerie est remplacée par d’épaisses masses de terre et, plus tard, par le béton. Comme le précisent les archives militaires, la rupture est doctrinale. Il s’agit de s’adapter à une nouvelle menace venue du ciel.
Le système Séré de Rivières se caractérise par l’abandon de la fortification bastionnée, chère aux disciples de Vauban, pour la fortification dite polygonale.
– Archives militaires françaises, Wikipédia – Place fortifiée de Besançon
Sur le terrain, cherchez les formes : les pointes en étoile et les lignes tendues sont la signature de Vauban. Les masses informes, les buttes de terre et les structures basses et trapues caractérisent l’ère Séré de Rivières. Besançon est un livre ouvert sur cette transition stratégique fondamentale.
L’erreur de s’aventurer sur des remparts non sécurisés pour une photo
Un avertissement s’impose. La fascination pour ces ouvrages militaires ne doit jamais primer sur la sécurité. En tant qu’officier, je me dois d’être catégorique : un rempart ou un fort abandonné n’est pas un terrain de jeu. Ces structures, en particulier les forts Séré de Rivières laissés à l’abandon, n’ont pas été entretenues depuis des décennies. Les pierres peuvent être descellées, les sols instables, et les puits ou galeries non signalés représentent un danger mortel. L’erreur classique est de vouloir « la » photo parfaite depuis un parapet non sécurisé.
La prise de risque est inutile. Les concepteurs de ces fortifications, et les gestionnaires actuels du patrimoine, ont déjà prévu des points d’observation optimaux et sécurisés. La Citadelle offre des chemins de ronde parfaitement aménagés qui procurent des vues à 360° sans aucun danger. Pour une vue d’ensemble sur le système, d’autres forts aménagés ou des points de vue naturels sont bien plus pertinents et sûrs.

L’image ci-dessus montre l’approche correcte : profiter de la vue depuis les espaces prévus à cet effet. La recherche d’un angle « exclusif » sur des ruines instables est une faute tactique qui peut avoir des conséquences dramatiques. La meilleure analyse stratégique se fait avec du recul et en toute sécurité. Voici trois positions tactiques pour vos photographies :
- Le panorama depuis les remparts de la Citadelle : Vue imprenable et sécurisée sur la boucle, les toits de la vieille ville et les forts environnants.
- Le Fort de Bregille : Accessible par une courte randonnée, il offre la meilleure vue stratégique sur la Citadelle elle-même, la mettant en perspective.
- Le pont de la République : Il permet une vue parfaite sur l’alignement des tours bastionnées et des remparts du quai Vauban, matérialisant la défense fluviale.
Quand utiliser la réalité augmentée pour visualiser les sièges historiques ?
La lecture statique des fortifications, même avec un œil de stratège, a ses limites. Il est difficile de se représenter la dynamique d’un siège : les mouvements de troupes, la trajectoire des tirs, l’impact de l’artillerie. C’est ici que la technologie moderne devient un outil tactique précieux. La réalité augmentée et les spectacles multimédias ne sont pas des gadgets ; ce sont des simulateurs historiques qui permettent de redonner vie à la doctrine militaire.
L’utilisation la plus pertinente de ces technologies est la visualisation des « impossibles ». Comment se positionnaient les troupes lors du siège de 1674 ? Quels étaient les champs de tir depuis un bastion aujourd’hui silencieux ? Où tombaient les obus ? La réalité augmentée, en superposant des informations virtuelles au paysage réel via un smartphone, peut répondre à ces questions. Elle permet de matérialiser les lignes de feu, de reconstituer les remparts disparus ou de simuler l’impact d’un assaut. C’est un outil d’analyse puissant pour comprendre l’efficacité d’un dispositif.
À Besançon, des initiatives concrètes existent déjà. Au cœur de la Citadelle, la Chapelle Saint-Étienne propose un spectacle multimédia immersif. Avec des projections continues, il ne s’agit pas d’un simple documentaire, mais d’une reconstitution dynamique qui fait voyager le spectateur à travers les moments clés de l’histoire du site. C’est le moyen le plus direct de visualiser la fonction militaire du monument au-delà de son architecture. Des projets de réalité augmentée pour l’ensemble du système fortifié sont également à l’étude, ce qui promet de futures analyses encore plus poussées.
Comment le système de bastions protège-t-il réellement la ville en 1600 ?
Le bastion est la réponse tactique à une révolution technologique : le développement de l’artillerie à boulets métalliques capable de briser les hautes et fines murailles médiévales. Le principe du bastion, qui émerge en Italie au XVe siècle et que Vauban portera à sa perfection, est une pure application de la géométrie à l’art de la guerre. Il ne s’agit plus de construire un mur haut, mais un système de défense bas, épais et anguleux. La date de 1600 est symbolique ; c’est à la fin du XVIIe siècle, après le rattachement de la Franche-Comté à la France, que Vauban systématise et rationalise ce principe à Besançon.
La forme en étoile du bastion n’est pas esthétique, elle est fonctionnelle. Son but est d’éliminer les « angles morts » au pied des remparts, là où les assaillants pouvaient autrefois se regrouper à l’abri des tirs. Chaque face d’un bastion est conçue pour être couverte par les tirs d’un bastion voisin. C’est le principe des champs de tir croisés. L’ennemi, où qu’il se trouve, est sous le feu d’au moins deux directions différentes. Le rempart n’est plus une ligne passive, mais une succession de zones de destruction méthodiquement organisées. Après la prise de la ville, Vauban a mis près de 20 ans de travaux, de 1675 à 1695, pour achever et perfectionner ce maillage défensif complexe.

L’observation d’un bastion doit donc être active. Il faut se positionner mentalement à la place de l’artilleur et visualiser les lignes de tir. La géométrie n’est ici qu’un outil au service d’une intention : rendre toute approche suicidaire. L’épaisseur des murs en terre et maçonnerie est quant à elle conçue pour absorber l’énergie des boulets, là où une muraille haute se serait effondrée.
Pourquoi les forts sont-ils toujours situés sur les points culminants les plus venteux ?
Le positionnement d’un fort n’est jamais laissé au hasard. Il répond à une règle militaire immuable : commander par la hauteur. Le choix d’un point culminant, souvent exposé aux vents, n’est pas une recherche de panorama mais une nécessité stratégique absolue. La hauteur procure deux avantages décisifs : l’observation et la portée de tir. Depuis un point élevé, le champ de vision est maximal. On peut surveiller les mouvements de l’ennemi à des kilomètres à la ronde, anticiper ses manœuvres et diriger ses propres troupes. C’est le rôle de poste de commandement.
Le deuxième avantage est balistique. Un canon placé en hauteur voit sa portée utile considérablement augmentée. La gravité joue en faveur du défenseur, donnant plus d’énergie au projectile. Inversement, l’assaillant doit tirer vers le haut, ce qui réduit la portée et l’efficacité de son artillerie. La Citadelle de Besançon, qui domine la ville depuis plus de 100 mètres de hauteur, est l’exemple parfait de ce principe. Depuis ses remparts, l’artillerie pouvait non seulement interdire l’accès à la boucle du Doubs, mais aussi battre les collines environnantes et les voies de communication stratégiques.
Vauban a exploité la topographie de Besançon avec une intelligence redoutable. Il a compris que la maîtrise des hauteurs de Bregille et de Chaudanne était la clé de la défense de la ville. En plaçant la Citadelle sur son anticlinal, il a créé un point d’ancrage qui verrouille tout le paysage. Le vent n’est qu’un inconvénient mineur face à l’avantage tactique écrasant que procure la position dominante. C’est la quintessence de la lecture stratégique du terrain.
Points stratégiques à retenir
- L’œuvre de Vauban à Besançon est un système intégré (ville, forts, rivière) et non une citadelle isolée.
- La défense repose sur la maîtrise de la topographie (hauteurs) et l’utilisation du Doubs comme arme défensive (tours bastionnées).
- Le bastion est une solution géométrique pour éliminer les angles morts grâce à des tirs croisés, rendant toute approche frontale extrêmement périlleuse.
Quel itinéraire de randonnée choisir pour découvrir les forts militaires abandonnés ?
La meilleure façon de synthétiser ces connaissances est de passer de la théorie à la pratique, sur le terrain. Les anciennes lignes de défense et les chemins de ronde autour de Besançon sont aujourd’hui devenus des sentiers de randonnée exceptionnels. Marcher sur ces traces, c’est la meilleure façon de ressentir l’échelle du dispositif, de comprendre les distances de tir et de visualiser les axes de communication que les forts devaient contrôler. C’est une analyse stratégique par l’effort physique.
Le choix de l’itinéraire dépend de votre niveau et du temps dont vous disposez. Du parcours urbain accessible à tous au trail complet pour les experts, chaque option offre un angle de lecture différent du système fortifié. Le « Trail des Forts », par exemple, est un événement qui a formalisé cette découverte patrimoniale et sportive. Son grand parcours permet de découvrir pas moins de 10 forts des 18e et 19e siècles reliés sur 62 km, offrant une vision exhaustive du « camp retranché » de Besançon. Ces tracés techniques permettent de s’immerger au cœur de fortifications inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Voici trois options pour votre reconnaissance sur le terrain :
- Parcours patrimoine urbain (11 km) : Idéal pour une première approche en famille. Il vous fait longer les remparts Vauban de la boucle, découvrir le Fort Griffon et monter à la Citadelle, offrant une excellente vision du cœur du système.
- Boucle découverte (22 km) : Un parcours de difficulté moyenne qui inclut le Fort de Bregille. C’est depuis ce fort que vous aurez la meilleure vue d’ensemble sur la Citadelle, vous permettant de comprendre leur relation stratégique.
- Circuit « Trail des Forts » (47 km ou plus) : Pour les plus aguerris. C’est l’immersion totale qui relie la majorité des forts Séré de Rivières. Vous y lirez l’évolution de la fortification et l’ampleur du camp retranché de la fin du XIXe siècle.
Questions fréquentes sur l’héritage de Vauban à Besançon
Peut-on utiliser la réalité augmentée pour visualiser les anciens remparts disparus ?
La municipalité de Besançon a déjà évoqué la création d’une attraction innovante et technologique en rapport avec l’univers militaire de défense de l’époque de Vauban, utilisant le principe de la réalité augmentée pour reconstituer virtuellement des éléments disparus.
Existe-t-il des applications mobiles pour visiter la Citadelle ?
Oui, l’application officielle « MaCitadelle » propose des parcours interactifs, des jeux de piste et du contenu enrichi pour découvrir le site sous différents angles, y compris son histoire militaire, de manière ludique et informative.
Où trouver des gravures historiques du siège de 1674 ?
La bibliothèque numérique Gallica, gérée par la Bibliothèque Nationale de France (BnF), est une ressource exceptionnelle. Elle met à disposition du public des gravures et des cartes d’époque, souvent en haute définition et téléchargeables, permettant de comparer le paysage historique avec l’actuel.
Maintenant que vous disposez des clés de lecture, votre mission est de les appliquer. Chaussez vos chaussures de marche, choisissez votre itinéraire et partez à la conquête non pas des forts, mais de la compréhension de cet héritage militaire exceptionnel.